Une vipère dans un marais

Le museau levait vers le ciel, il fixait le feuillage qui s'agitait au gré du vent. Une température douce, signant le commencement de la saison des nouvelles feuilles. Enfin. Le mauvais temps était parti et avec lui, l'épidémie qui avait décimé son clan. Il agita une oreille. Il s'était éclipsé du camp alors que les rayons de soleil commençaient à disparaître parmi les branches. Les félins étaient sur le qui-vive, mais il espérait que personne ne s'inquiéterait de son absence.

Il avait toujours été un félin solitaire et discret, si bien que les membres du clan des brumes étaient habitués à le noter absent lors des rassemblements convivial autour d'un bon repas. Il n'avait pas eu le loisir de pouvoir jouir de la liberté de la solitude depuis la maladie, car il y avait toujours un chat pour s'assurer de son état. Après un tel drame, il ne pouvait en vouloir aux siens de craindre le pire. Ils se cachaient derrière des excuses, mais il savait ce que tous redoutaient : que leur pilier s'effondre.

D'un pas de velours, il sauta parmi les fougères. Ses oreilles s'agitèrent à l'écoute d'un bruissement. Ses yeux se posèrent immédiatement sur un écureuil maigrelet. La chasse appelait ses instincts, mais il l'ignora pour poursuivre sa route. Bientôt, l'odeur vaseuse des marécages vinrent emplir son museau et il entrouvrit la bouche pour humecter l'air. Sa course trouva repos tout près d'une terre humide par la fonte de la neige et il prit place, sa queue autour de ses pattes. A chaque son, ses oreilles pivotaient d'un sens à l'autre, à l'affût de tout danger. Elles s'agitèrent. Un craquement. Si léger qu'il failli presque le manquer. Sa tête pivota sans crainte aucune. Parce qu'il savait déjà qui était là. Celle qui lui avait donné rendez-vous au petit matin.

Cachée parmi les ténèbres d'un tronc épais, une féline descendait de son perchoir. A sa posture, il nota son intention. Celle de lui bondir sur le dos. Il se releva, tournant vers la silhouette élancée et agile.

- N'y songes même pas.

Tu l'attendais dans un arbre. L'odeur des marécages ne te dérangeais pas, bien au contraire. Elle camouflait toutes tes odeurs. Tu étais une bonne chasseur, mais encore meilleure quand il était question de cacher sa présence. Tu n'avais jamais hésité à te salir en souillant ton visage de boue pour étouffer tes traces. Tu n'en as pas besoin pour le moment, car l'ombre et la chute du soleil cachent ton pelage sombre dans le grand chêne.

Ton corps se crispe lorsque tu aperçois ta cible. Enfin, voilà ton chef tant attendu. L'arrière train relevé, tu l'agites dans un mouvement d'excitation presque incontrôlable. La même que celle d'un chaton qui va commettre une bêtise. A pas feutré, tu te faufiles hors de ta branche. Ton corps bascules, tes griffes se plantent dans le tronc. La tête se relève et le mâle te dévisage en trouvant ta position sans une once de difficulté. C'est ce qu'il te montre par son calme. Tu sautes à côté de lui dans un rire aussi tentateur que mauvais.

- Moooh... Ne puis-je donc pas voir si notre chef vénérable a gardé ses réflexes avec la tra-gé-diiie ? Miaules-tu d'un ton acerbe et moqueur.

Tu sautes à côté de lui agilement, déjà prête à tourner autour de ta proie.

Fidèle à elle même, la femelle se montra désagréable, le ton rieur. Elle avait ce don que peu avaient. Du moins, à un tel niveau. En toute situation, elle savait se montrer détestable et pour une raison inconnue, tout lui était toujours pardonné.

- Moooh... Ne puis-je donc pas voir si notre chef vénérable a gardé ses réflexes avec la tra-gé-diiie ?

Elle sauta à côté du mâle dont la tête s'était à peine tournée pour contempler le point d'atterrissage. Solide sur ses appuies, elle semblait déjà prête à semer la discorde dans la discussion en prenant l'ascendant sur le meneur par le mouvement. Il ne s'adonna pas à ce jeu ridicule, tournant les talons en s'éloignant quelque peu pour rejoindre un point solide au milieu du marécage. Il s'y assit, enroulant sa queue autour de ses pattes tandis que son museau se détournait définitivement de la vipère.

- Une délicate attention que voilà.

Ses yeux glissèrent sur les eaux calmes. Peu profondes. Mais mortelles si on s'y prenait sans garde. Les jeunes félins étaient les plus propices à vivre l'accident, car l'eau leurs arrivaient plus rapidement au dessus du crâne. La boue était particulièrement glissante en cette saison, bien que jamais autant que lorsque la glace se formait pendant la saison froide. Il devrait rappeler aux jeunes intrépides de ne pas se hâter sur cette partie du territoire. Après les problèmes rencontrés par le clan, les apprentis seraient d'autant plus négligents et heureux de pouvoir retourner aux entraînements sans que l'ombre de la mort ne plane au dessus du camp. Il répliqua finalement sans accorder plus d'importance aux agissements de la chatte.

- Mais un bien mauvais exemple que tu donneras à nos futurs jeunes si tu continues de toujours te comporter comme un serpent. Sa tête se tourna finalement vers elle, ancrant son regard dans le sien, essayes-tu de me signaler que tu ne souhaites plus enseigner ?